L’équipe LOMONTE a collaboré à l’étude parue la semaine dernière dans le journal Cell.
Le système immunitaire inné repose sur des capteurs de signaux de danger, notamment l’ADN, pour détecter les infections. La protéine cGAS (cyclic GMP-AMP synthase), bien connue pour sa capacité à détecter l’ADN viral dans le cytosol, est également présente dans le noyau, où son activation est soigneusement régulée pour éviter des réponses auto-immunes. L’étude de Lahaye et al. (Cell, 2025) révèle un mécanisme original d’activation nucléaire de cGAS, via une réponse nommée VICAR (Viral-Induced Centromeric DNA Amplification and Recognition), qui constitue un mode de détection spécifique de l’activité virale dans un environnement saturé d’ADN endogène.
Ce mécanisme repose sur une propriété inattendue des centromères : en présence de certaines protéines virales, notamment ICP0 du virus herpès simplex de type 1 (HSV-1), les centromères subissent une dégradation de leurs protéines structurales, entraînant une amplification locale de l’ADN centromérique. Cette amplification, permise par une voie de synthèse d’ADN appelée translesion synthesis (TLS), crée des structures d’ADN accessibles et non compactées qui peuvent être détectées par cGAS, malgré la densité de l’ADN nucléaire. cGAS produit alors du cGAMP, déclenchant une cascade immunitaire via STING, conduisant à l’expression de gènes pro-inflammatoires et d’interférons de type I (IFN-I).
L’importance de cette découverte réside dans le fait que l’activation de cGAS n’est pas directement déclenchée par l’ADN viral, mais par une perturbation de la stabilité génomique induite par une activité virale, ici la fonction E3 ubiquitine ligase de la protéine ICP0. En ce sens, cGAS devient un capteur d’« effets collatéraux » viraux, dans une logique d’immunité déclenchée par effet de perturbation plutôt que par reconnaissance d’un motif pathogène classique.
Dans les neurones, où HSV-1 établit sa latence, cette activation peut avoir des conséquences délétères. L’équipe du Dr. Patrick Lomonte de l’Institut NeuroMyoGène-Physiopathlogie et Génétique du Neurone et du Muscle (INMG-PGNM), affiliée à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et co-auteur de l’article dans Cell, a récemment publié dans la revue PNAS (Roubille et al., 2024) une étude qui démontre l’importance du complexe HUSH, un complexe de répression épigénétique, dans le contrôle de la latence de HSV-1. Ce complexe joue un rôle essentiel pour empêcher la réactivation du virus dans les cellules neuronales. Son inactivation par la protéine virale ICP0 compromet cette répression, amplifie la réactivation virale, et rend donc possible l’activation de la voie VICAR.
Dans ce contexte, une activation prolongée de la voie IFN-I dans les neurones, notamment via le mécanisme VICAR, pourrait contribuer à un état inflammatoire persistant. Si les conséquences d’une telle activation sur la physiologie neuronale ne sont pas encore établies, il est envisageable qu’un environnement inflammatoire récurrent influence les conditions de latence ou de réactivation virale. Cette dynamique hypothétique, si elle se produit de manière répétée, pourrait entretenir un cercle entre inflammation et activité virale, dont les implications à long terme dans le tissu neuronal restent à explorer. Ce scénario mérite une attention particulière, y compris en dehors des contextes aigus comme l’encéphalite herpétique, notamment dans des formes subcliniques où une inflammation locale pourrait passer inaperçue.
Cette boucle auto-entretenue entre perturbation épigénétique, activation immunitaire nucléaire et réactivation virale pourrait, à long terme, contribuer à des pathologies neurodégénératives, notamment la maladie d’Alzheimer. Plusieurs études épidémiologiques et expérimentales suggèrent un lien entre infections herpétiques latentes/récurrentes et déclin cognitif. L’inflammation chronique, activée via cGAS et la voie VICAR, pourrait représenter un mécanisme moléculaire central reliant infection, réactivation virale et dégénérescence neuronale.